Qu’est-ce qu’un père ?
Prélude – FCL Athènes
1ère Journée en ligne de la Zone Plurilingue de l’IF-EPFCL
Il s’agit d’une question centrale dans la psychanalyse depuis ses débuts.
Ceci est démontré par le fait que Freud attribue au père, à travers la théorie de la séduction, la position de « promoteur de la névrose »[1], et surtout de celle de l’hystérie. C’est une position dont il ne s’exclut ni lui-même ni son propre père. Cependant, il quitte très vite le père séducteur[2], et peu de temps après, le terme d’Œdipe apparaît pour la première fois[3]. Il faut noter que cette référence apparaît un an après la mort du père de Freud.
Il s’agit d’un déplacement de la clinique du trauma à la clinique du fantasme. Dans l’articulation logique dudit fantasme le père continue à occuper la place nodale[4].
Freud ne cessera jamais de mettre le père au centre de ses élaborations et il recourt à trois mythes, dont l’un -celui du père de la horde- est inventé par lui-même. Nous nous référons aux mythes d’Œdipe, de Moïse et du Totem et Tabou « le seul mythe dont l’époque moderne a été capable »[5].
Ces trois mythes font référence au père mort et plus précisément au père assassiné. C’est le père qui impose la loi, interdisant l’inceste, et il introduit le sujet dans l’ordre symbolique, chose qui permet l’accès au désir.
Lacan soutient que Freud « démystifie la fonction du Père »[6]. Il la démystifie au sens qu’il fait de lui une métaphore. Quand Freud évoque l’expression du droit romain pater semper incertus est[7], le père est toujours incertain, il le réduit à un simple signifiant, un nom qui n’existe que par métaphore.
Freud a utilisé le mythe pour ce qu’il est, c’est-à-dire une manière d’approcher, une tentative d’articulation d’un réel, « la tentative de donner forme épique à ce qui s’opère de la structure »[8]précise Lacan, qui va au-delà du mythe et articule le père comme un outil structural, chose qui est déterminée par le langage.
Ainsi la castration n’est plus un effet du père. « La castration c’est l’opération réelle introduite de par l’incidence du signifiant quel qu’il soit, dans le rapport du sexe. Et il va de soi qu’elle détermine le père comme étant ce réel impossible »[9]
Cette position a un effet décisif sur la direction de la cure et le mode d’interprétation de l’analyste qui désormais va au-delà du «jeu de mythèmes apologétiques»[10] et prend en considération le père comme quelque chose dont on peut se servir: « L’hypothèse de l’Inconscient, Freud le souligne, c’est quelque chose qui ne peut tenir qu’à supposer le Nom-du-Père. Supposer le Nom-du-Père, certes, c’est Dieu. C’est en ça que la psychanalyse, de réussir, prouve que le Nom-du-Père on peut aussi bien s’en passer. On peut aussi bien s’en passer à condition de s’en servir. »[11]
Cette citation est cruciale et chaque mot a son poids. L’inconscient est une hypothèse, une supposition basée sur le père-dieu, chose qui renvoie directement à l’amour, puisque « ce qu’il y a de premier à aimer en ce monde est le père »[12].
L’amour et la supposition sont les deux piliers du transfert. Nous aimons le sujet à qui nous supposons un savoir. En somme, aussi bien dans le transfert que dans le Nom-du-Père nous avons affaire à une supposition qui met l’amour en fonction.
L’enseignement de Lacan permet, dans l’analyse, de ne pas se perdre dans les labyrinthes mythiques du sujet mais de suivre le fil du réel de la jouissance.
Autrement dit, que l’analyse s’opère de manière à ce que la réalisation de ce quart de tour qui permet le passage du discours hystérique au discours analytique se fasse.
« Dans ce cas, le signifiant maître n’est plus en place d’autre appelé à répondre, à produire du savoir. Celui qui vient à cette place est le sujet barré, “questionné“ par l’analyste. On s’est ainsi servi du Nom-du-Père, appelé par le sujet, pour le mettre, lui, au travail de l’analyse »[13]
Dans l’analyse, le sujet est appelé à produire ses signifiants maître (S1), séparés du savoir (S2) qui est en position de vérité, un processus qui a pour effet la perte de jouissance. C’est pour cela que Lacan dira que l’analysant consomme la jouissance phallique[14].
Ainsi, le sujet peut aller au-delà de l’hystérisation, condition nécessaire au début de l’analyse, en se servant des noms du père pour pouvoir s’en passer.
Maria Koukoumaki
AME, membre du Forum Psychanalytique du Champ Lacanien d’Athènes
[1] S. Freud, lettre à W. Fliess n. 64, 31-5-97 in Naissance de la psychanalyse, ed PUF, p. 183.
[2] S. Freud, lettre à W. Fliess n. 69, 21-9-97 in Naissance de la psychanalyse, ed PUF, p. 191.
[3] S. Freud, lettre à W. Fliess n. 71, 15-10-97 in Naissance de la psychanalyse, ed PUF, p. 198
[4] S. Freud, Un enfant est battu (1919)
[5] J. Lacan, Le séminaire Livre VII, L’éthique de la psychanalyse 1959-1960, ed Seuil, p. 208
[6] J. Lacan, Le séminaire Livre VII, L’éthique de la psychanalyse 1959-1960, ed Seuil, p. 214
[7]S. Freud, Le roman familial des névrosés, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2014, p. 15
[8]J. Lacan, Télévision in Autres Ecrits, ed. Seuil, Paris, 2001, p. 532
[9] J. Lacan, Le Séminaire, Livre XVII, L’envers de la psychanalyse, ed. Seuil, Paris, 1991, p. 149
[10] J. Lacan, Radiophonie in Autres Ecrits, ed. Seuil, Paris, 2001, p. 411
[11] J. Lacan, Le Séminaire, Livre XXII, Le sinthome, ed. Seuil, Paris, 2005, p. 136
[12] J. Lacan, Le Séminaire, Livre XVII, L’envers de la psychanalyse, ed. Seuil, Paris, 1991, p. 114
[13] Sol Aparicio, Tant qu’il y aura des hystériques, Champ Lacanien Revue de psychanalyse, n. 15, mai 2014, Publication de l’Ecole de psychanalyse des forums du champ lacanien, p77.
[14] J. Lacan, D’écolage, 1980, inédit