L’efficace du transfert face aux symptômes

S’il n’a pas fallu attendre la psychanalyse pour thématiser la portée de la relation thérapeutique sur l’amélioration des symptômes, c’est avec Freud, et accordé à la découverte de l’inconscient, que le transfert s’est précisément ordonné comme concept, avec son efficace propre.

Freud, en de maintes occasions, et lui consacrant presqu’entièrement sa Technique psychanalytique, a rapidement pointé le pouvoir du transfert face aux symptômes, pour peu qu’il soit manié en raison et avec le tact qui s’impose. Il vaut de relire ses « Conseils aux médecins », dont la fraîcheur oubliée nous enseigne encore aujourd’hui.

Freud a pu indiquer, et c’est un fait assez probant pour qu’il nous arrête, que le déploiement de la névrose dans le transfert obtenait à lui seul cet effet d’amenuiser la nocivité des symptômes dans la vie d’un sujet. Il nous faudra en expliquer le ressort.

Ses propos sur le caractère nécessaire du transfert, lequel requiert un temps indécidable pour sa mise en place, sont à apprécier au regard de la brûlante actualité des offres post-modernes de soin dont l’efficacité voudrait associer des settings thérapeutiques éphémères à des experts anonymes. Trahissant quelque méconnaissance sur les déterminismes de l’animal parlant, prompts à délivrer des techniques clef en main, entérinant parfois des interprétations simplificatrices, ils résorbent d’une illusion le malaise actuel qui règne dans la civilisation par fait de capitalisme ; mais ce faisant, en évitent-ils durablement les résurgences ?

Si Freud parle du transfert comme du plus puissant mécanisme au service de la cure, c’est pour aussitôt pointer que la durée des traitements lui est aussi imputable. La psychanalyse vient alors de révéler un premier impossible dans le traitement des symptômes : il lui faut, à ce traitement, une temporalité propre qui dépend plus du désir de l’analyste et du sujet qui vient faire acte de parole pour élaborer son expérience, que de procédures administrées par l’horloge. Le transfert, à inclure le psychanalyste, permet que le symptôme soit entendu comme il se doit, soit au plus près des coordonnées subjectives ; sans quoi il ne pourra en résulter quelque acte ou interprétation qui vaille dans la vie du sujet. Car telle doit être l’éthique du transfert : s’il est de l’amour, un amour véritable (eine echte Liebe) dira même Freud, c’est un amour sans éternité, voué à sa fin. Une psychanalyse n’est pas hors-temps mais elle a son temps propre. Encore, comment cet amour-là peut-il prétendre traiter le symptôme sans virer dans les impasses de la fascination et de la suggestion ? Sur cette question de l’amour, Lacan livrera plus tard ce qui constitue le chiffre du transfert : le transfert n’est pas répétition des passions infantiles comme le pensait Freud, mais un amour qui s’adresse au savoir… et pas au clinicien. À ce dernier reste la charge de questionner ce qu’il doit continuer à être pour agir conformément à son acte.

Notre abord du transfert dépend donc de la conception que l’on a de la fin d’une cure analytique. C’est là tout l’enjeu de ce que la psychanalyse, mais aussi les pratiques cliniques qui s’adossent à sa praxis, propose comme offre face aux symptômes.

Traiter de ce thème impose également d’embrasser l’ensemble du champ clinique et requiert d’examiner les remarques de Lacan à la fin de sa « Question préliminaire ». Pour qu’un traitement analytique de la psychose soit possible, et plutôt que de choisir la voie du déchiffrage propre à la thérapeutique des névroses, il s’agira de se faire une juste conception du maniement du transfert.

Outre les conséquences que ce thème emporte pour la pratique du psychanalyste, chaque participant, qu’il exerce dans les champs du social, de l’éducatif ou du thérapeutique, y trouvera le matériau lui permettant de clarifier le positionnement de son acte clinique.

Bruno Geneste


Références bibliographiques

FREUD Sigmund

  • «Traitement psychique», Résultats, idées, problèmes I, Paris, PUF.
  • Psychopathologie de la vie quotidienne, Paris, Payot.
  • La Technique psychanalytique, chapitres II («De la psychothérapie»), VI («La dynamique du transfert»), IX («Le début du traitement»), X («Remémoration, répétition et perlaboration»), XI («Observations sur l’amour de transfert»), Paris, PUF.
  • Cinq Psychanalyses, «Fragment d’une analyse d’hystérie», «Remarques sur un cas de névrose obsessionnelle», Paris, PUF.
  • «Pour introduire le narcissisme», La Vie sexuelle, Paris, PUF.
  • Conférences d’introduction à la psychanalyse, chapitres XII, XXIII, XXVII, XXVIII, Paris, Gallimard.
  • «Sur la psychogenèse d’un cas d’homosexualité féminine», Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF.
  • Inhibition, symptôme et angoisse, Paris, PUF, Quadrige.
  • Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris, Gallimard.
  • «Psychanalyse et théorie de la libido», Résultats, idées, problèmes II, Paris, PUF.
  • «L’analyse avec fin et l’analyse sans fin», Résultats, idées, problèmes II, Paris, PUF.
  • «Constructions dans l’analyse », Résultats, idées, problèmes II, Paris, PUF.
  • «Sur la psychologie du lycéen», fr., Œuvres complètes, t. XII. Paris, PUF, 2005, p. 331-337 et Résultats, Idées, Problèmes, I, Paris, PUF.

LACAN Jacques

Ecrits, Paris, Seuil, 1966
  • «De nos antécédents», p. 65-72.
  • «Intervention sur le transfert», p. 215-226.
  • «Du sujet enfin en question», p. 229-236.
  • «L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud», p. 493-528.
  • «D’une question préliminaire à tout traitement de la psychose», p. 531-583.
  • « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », p. 585-645 (et spécialement le chapitre III: «Où en est-on avec le transfert?»).
  • «Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien», p. 793-827.
  • «Position de l’inconscient», p. 829-850.
Autres écrits,Paris, Seuil, 2001.
  • «Petit discours à l’ORTF», 6 décembre 1966, p. 221
  • «Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École», p. 243-259.
  • «Allocution sur l’enseignement» prononcée le 19 avril 1970, p. 297.
  • «La méprise du sujet-supposé-savoir», p. 329-339.
  • «Allocution sur les psychoses de l’enfant», p. 361-371.
  • «Note sur l’enfant», p. 373-374.
  • «L’Acte psychanalytique», p. 375-383.
  • «Joyce le Symptôme», p. 565-570.
  • «Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI», p. 571-573.
Conférences
  • «La Troisième», Rome, 1er novembre 1974.
  • «Conférence à Genève sur le symptôme», 4 octobre 1975.
  • «Conférences dans les universités nord-américaines», Scilicet, n° 6-7, Paris, Seuil, p. 15.
Le Séminaire
  • Livre I, Les Écrits techniques de Freud, chapitres IV, V, VIII, XIV, XV, XVIII, XIX. Paris, Seuil, 1975.
  • Livre II, Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1978.
  • Livre III, Les Psychoses, Paris, Seuil, 1981.
  • Livre V, Les Formations de l’inconscient, chapitres XVIII, XX, XXII, XXIV, XXVI, XXVII. Paris, Seuil, 1998.
  • Livre VIII, Le Transfert, chapitres XII XIII XVI XVII XXVI, Paris, Seuil, 1991.
  • Livre X, L’Angoisse, chapitres VIII, IX, X, XI, XIV, XV, XXI, Paris, Seuil, 2004.
  • Livre XI, Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse, chapitres X, XI, XVIII, XIX, XX, Paris, Seuil, 1973.
  • Livre XV, «L’Acte psychanalytique», inédit.
  • Livre XXII, «RSI», inédit, leçons du 10 décembre 1974 et du 25 janvier 1975.
  • Livre XXIII, Le Sinthome, Paris, Seuil, 2005, leçon du 16 décembre 1976.

Autres références

  • Colette Soler:
    • «Les Symptômes de transfert», Cours 1999.
    • «Le Symptôme et l’Analyste», Cours 2004-2005.
    • «Avènements du     réel,     de     l’angoisse     au symptôme», Cours 2015-2016.
    • «L’amour qui s’adresse au savoir», Revue des Collèges Cliniques du  Champ (RCCCL), n° 12, «Qu’est-ce qui fait lien?», Paris, Hermann, 2013.
  • «Que faisons-nous des symptômes?», Revue des Collèges Cliniques du Champ Lacanien (RCCCL), n° 5, Paris, Hermann, 2006.
  • «La répétition à l’épreuve du transfert», Revue des Collèges Cliniques du Champ Lacanien (RCCCL), n°10, Paris, Hermann, 2011.
  • Le Cahiers du stage, Revue du collège clinique de Bourgogne – Franche-Comté, n° 4, 5, 7 et 8.
  • Daniel Pennac, Chagrins d’école, Paris, Gallimard, 2007.
  • Martine Menès, L’Enfant et le Savoir – D’où vient le désir d’apprendre, Paris, Seuil, 2012.
  • Martine Menès, «La “névrose infantile” : un trauma bénéfique», Rééd. Revue, Paris, éd. Nouvelles du Champ lacanien, 2019.
  • Frédéric Pellion, «L’inconscient, une “puissance de refus”».